Raison et Foi. Archéologie d'une crise (d'Albert le Grand à Jean-Paul II) by Alain de Libera

Raison et Foi. Archéologie d'une crise (d'Albert le Grand à Jean-Paul II) by Alain de Libera

Auteur:Alain de Libera
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2017-07-14T16:00:00+00:00


Philosophie et théologie dans le Commentaire des Sentences et le Super Ethica

Albert a évolué dans sa conception de la théologie. Il faut tenir compte de cette évolution. Il a également, tant dans ses commentaires d’œuvres philosophiques que dans ses commentaires d’œuvres théologiques, pratiqué, sur un point décisif, un style d’exégèse conforme aux standards des commentaires néoplatoniciens de l’Antiquité tardive : expliquer un texte dans la perspective de son σκοπός3. Il faut tenir compte de cette contrainte herméneutique, qui l’amène, évidemment, à présenter une image sensiblement différente de la théologie, selon qu’il commente Pierre Lombard ou Denys le Pseudo-Aréopagite et, a fortiori, Pierre Lombard, un théologien, ou Aristote, un philosophe. Un balancement significatif existe, sous ce rapport, entre le Commentaire des Sentences et le Super Ethica4. La première œuvre présente une conception quasi augustinienne du rapport entre philosophie et théologie. Sur toute question touchant à la foi, le philosophe est mauvais guide : c’est Augustin qu’il faut « croire » (« Augustino in his, quae sunt de fide et moribus, plusquam philosophis credendum est5 »). Pour chaque « article » de foi, la règle est de « tenir captif » l’intellect et ses « fictions », dans une « stricte obéissance au Christ » : « In omni articulo oportet captivari intellectum phantasticum in obsequium Christi6. » Conséquence immédiate : si une doctrine philosophique s’oppose – ou même paraît s’opposer – à ce que dit la foi catholique, elle doit être laissée de côté. C’est le cas, par exemple, du système des Intelligences, fondement de toute la cosmologie péripatéticienne : « […] nec etiam dico esse intelligentias […] quia mihi videtur quod catholice hoc poni non potest7. » Tout autre est la position du Super Ethica. Commentant Aristote, Albert est directement confronté à des thèses incompatibles avec celles de la Révélation. S’il maintenait l’attitude prescrite dans le Commentaire des Sentences, le Colonais devrait donc, à chaque occasion, professer un rigoureux hoc poni non potest. Pareille réponse contredirait cependant, de manière intolérable, le principe fondamental de sa méthode d’exégèse. Pour se tenir dans les limites du σκοπός de l’œuvre commentée, l’interprète de l’Éthique à Nicomaque doit, en quelque sorte, en préserver l’univers épistémique. Ne pouvant affirmer pour autant la vérité d’une thèse philosophique contraire à la Vérité, le commentateur d’Aristote n’a qu’une solution logique : ce que L. Sturlese appelle, à juste titre, la « déclaration d’incompétence » théologique de la philosophie. Le Super Ethica fourmille de tels replis méthodologiques, qui n’engagent pas nécessairement la seule science de l’Éthique, mais s’étendent, le cas échéant, à la philosophie comme telle. On peut y distinguer, toutefois, deux formules : (a) la philosophie n’a pas à s’occuper de telle ou telle question (étrangère à son champ, à son σκοπός) ; (b) la philosophie ne suffit pas à la régler. Le type b est représenté par des énoncés comme : « quod animae defunctorum remaneant post mortem, non potest per philosophiam sufficienter sciri8 », ou « qualiter cura dei extendatur ad exteriora dispensanda est altior quaestio9 ».



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